par Marie-Sandrine Sgherri, Lepoint.fr du 09 octobre...
Ce discours était très attendu. François Hollande a fait de la jeunesse et donc de l'école la priorité absolue de son quinquennat. Et dès son arrivée, il a eu à coeur de montrer que cet engagement serait tenu. Son ministre de l'Éducation nationale, Vincent Peillon, a annoncé 40 000 recrutements dès 2013, dont 22 000 créations de postes, pour rattraper la "saignée" du précédent quinquennat. Il s'agissait de montrer que la promesse des 60 000 enseignants recrutés sur le quinquennat serait honorée. Mais parce que tout n'est pas qu'une question de moyens, il s'est aussi engagé à faire voter une nouvelle loi d'orientation et de programmation, et a organisé une vaste consultation dont l'objectif n'était pas moins que de "refonder" l'école. Autant de signes indiquant que le président avait pris la mesure de ce dont souffre l'Éducation nationale : non pas une absence de réformes, mais un trop-plein de réformes, une avalanche d'injonctions, souvent contradictoires, et sans la moindre cohérence.
Pilotage technocratique
Le rapport de synthèse de la concertation remis vendredi à Vincent Peillon faisait ce même constat, dénonçait cette absence de vision, le "pilotage technocratique" du "mammouth" qui empile les mesures, sans contrôler leur mise en oeuvre, ni évaluer leurs résultats. Les observateurs attendaient donc une rupture, et du discours de François Hollande qu'il définisse quelle était sa "vision" pour l'école : dans quelle direction doivent marcher ces 60 000 nouveaux hussards que le président souhaite recruter ? D'autant que, sur les derniers mois du quinquennat précédent, la droite avait tracé son projet : l'autonomie des établissements, l'évolution des missions et du statut des enseignants avec, en ligne de mire, l'idée qu'ils devaient être rémunérés en fonction des services rendus, embauchés par les établissements, voire recrutés sur titre, et non plus sur concours. Il importait donc à la gauche de se réapproprier l'école de la République et d'en finir avec ces errements.
C'est peu de dire qu'en la matière le rapport sur la consultation remis vendredi, puis le discours de la Sorbonne ont déçu. Le rapport d'abord. Il commençait pourtant bien, avec un constat fort, qui dessinait en creux des pistes intéressantes et peu explorées jusqu'alors, comme la question de l'inégalité des territoires, que la Cour des comptes vient de dénoncer dans un référé passionnant.
Elle note en effet que ces inégalités ont pris une ampleur inquiétante. Dans le primaire, les dépenses des communes représentent aujourd'hui 39 % des dépenses globales. Or, les écarts de financement des écoles primaires varient de 1 à 10 ! L'Éducation nationale, elle, n'a aucun instrument lui permettant de connaître dans le premier degré la part prise par les communes.
Les impasses de la Sorbonne
Un tel instrument de pilotage s'imposait donc. Certes, il ne s'agit pas là d'une "vision" pour l'école. Mais si l'école de la République a le souci de l'égalité, ou du moins de l'équité, le moins que l'État puisse faire est de mesurer les inégalités de dotations qui existent là où ce n'est pas lui qui distribue les fonds. Cela concerne - tout de même - 40 % de la dépense intérieure d'éducation* !
De cet intéressant point, qui rejoint un autre projet fort de François Hollande - la nouvelle loi de décentralisation annoncée pour début 2013 -, il n'a pratiquement pas été question à la Sorbonne.
D'autres "oublis" sont notables. Quid des zep, par exemple ? Dans ce même référé, la Cour explique que les établissements les plus en difficulté peuvent être moins dotés que ceux qui ont de bons résultats. La dotation horaire globale est en effet corrélée au nombre d'élèves, et non à leurs difficultés. Las ! En ce qui concerne les zones d'éducation prioritaire, le président de la République a simplement souhaité y voir affectés des enseignants expérimentés et volontaires.
Rien de nouveau sous le soleil : c'est le voeu, resté vain, de tous les ministres de l'Éducation qui se succèdent Rue de Grenelle depuis une vingtaine d'années. Pour y parvenir, il faudrait une politique d'affectation et de mutation des enseignants qui ne soit plus basée d'abord sur l'ancienneté. Là encore, une telle réforme ne saurait tenir lieu de "vision". Mais elle aurait le mérite de donner un début de réalisation à une mesure qui s'impose.
Engagement budgétaire
Le président de la République a également "oublié" le lycée général et technologique. Une excellente nouvelle, car le lycée vient tout juste d'être réformé par Luc Chatel. Il serait bon que les premiers bacheliers de ce millésime sortent (ce sera le cas en juin) avant que l'on songe à opérer un nouveau chambardement. Il a promis en revanche de se pencher sur le lycée professionnel et d'y développer l'alternance. Excellente nouvelle là aussi, puisque, aujourd'hui, ce mode de formation, pourtant plébiscité par le marché du travail, est presque exclusivement pratiqué dans des centres privés.
Le collège a eu droit à son petit mot. Sur ce "maillon faible", où l'échec ne se noue pas - il s'est joué au primaire, voire dès la maternelle -, mais où il explose à la figure d'enseignants démunis, le président a insisté sur le passage CM2-sixième. Le collège sera aussi concerné par la politique de lutte contre le décrochage. Mais cette politique tient en deux mesures : nommer un référent dans les établissements et encourager les initiatives des enseignants. C'est tout ? C'est tout.
En un mot, Hollande a raté son rendez-vous avec l'école. Il a oublié la "vision" qu'attend l'institution depuis au moins 1989, et la grande loi Jospin qui entérinait la massification du secondaire et fixait dans les textes l'objectif des 80 % d'une classe d'âge au bac. En lieu et place, derrière les grandes phrases un peu creuses qui sont le lot de ce type de discours, il y a certes un engagement budgétaire : la loi de programmation va graver dans le marbre les 60 000 créations de postes sur 5 ans promises pendant la campagne. Mais ce n'est pas une "vision". Il invite aussi l'institution à relever le "défi du numérique". Tout en reconnaissant que ce n'est pas un remède miracle, le président veut en faire un "levier du changement". Bref, toujours pas de "vision".
Quelques mesures pour le primaire
La seule chose à retenir, finalement, est que la priorité est bien donnée au primaire. François Hollande lui a d'ailleurs consacré l'essentiel de son discours. Mais là encore, le président a déçu. La notation doit indiquer un niveau, pas le "sanctionner". Comprenne qui pourra ! François Hollande a même botté en touche sur les rythmes scolaires. Certes, le président a dit, comme son ministre avant lui, que la semaine devait être étalée sur neuf demi-journées et que l'année scolaire devait être rallongée. Mais pour y arriver, aucune piste. La concertation en décidera. On se pince ! Un rapport sur les rythmes scolaires a été remis à Luc Chatel l'an dernier. La consultation a de nouveau abordé la question. Franchement, Monsieur le Président, n'est-il pas temps de trancher ?
Mise à part l'augmentation des moyens, qui n'est pas négligeable, la seule annonce véritable sur le primaire concerne les devoirs. Ils seront faits à l'école, après la classe. Si le président dit vrai, ce serait la concrétisation d'une mesure prise en 1956. Il ne faut donc pas désespérer.
* DIE : l'ensemble des fonds consacré par la nation tout entière à l'éducation (l'État en assure 60 %, les collectivités et les familles prennent en charge l'essentiel du reste).
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