Retour sur un débat entre Claude Allègre et Luc Ferry, paru dans le Figaro du 28 avril 2010!…et qui reste actuel .
Propos recueillis par Paul-François Paoli
EXTRAITS
Le Figaro. Claude Allègre, dans « l’imposture climatique ou la fausse écologie », vous dénoncez le « mythe du réchauffement climatique » et les « alarmistes » qui en ont diffusé l’idée. Le moins qu’on puisse dire est que vous n’y allez pas de main morte.
Claude Allègre. Le climat dans 100 ans doit-il être notre priorité ? Surtout quand on sait qu’un enfant dans le monde meurt toutes les six secondes, du fait de la malnutrition ? Quand on sait que plusieurs milliers de personnes meurent chaque jour par manque d’eau potable ? Sans oublier les 25 millions de chômeurs en Europe……….Et comment ne pas voir que la stratégie mise en œuvre depuis la réunion de Kyoto a échoué ? Les dégagements de CO2 ne font que s’accélérer ! En outre il est vain de penser qu’on va pouvoir contrôler le développement de la Chine et de l’Inde. Il faut donc changer de stratégie. Je ne suis pas partisan des dégagements de CO2 … Mais aux teneurs actuelles, il est difficile d’établir que le CO2 est la cause principale des changements climatique. Basées sur des modèles mathématiques, ces prédictions se sont avérées fausses. Elles n’expliquent pas la légère décroissance que l’on observe depuis douze ans !
Luc Ferry. Je crois que l’écologie pose mal les vrais problèmes auxquels nous sommes confrontés, notamment par rapport à l’entrée de l’Inde et de la Chine dans la mondialisation et la logique de consommation à l’occidentale…….L’économiste Daniel Cohen a montré que si l’Inde et la Chine avaient le même nombre de voitures que nous par tête d’habitant, il faudrait dix planètes pour vivre ! Voilà le cœur du dilemme. Si nous ne voulons pas de la décroissance qui détruirait nos économies, nous devons offrir à l’Inde et à la Chine des solutions qui reposent sur l’innovation scientifique et technique. Par exemple, des habitations basse consommation ou des voitures électriques…
Le Figaro. Claude Allègre, vous mettez en cause avec virulence le Giec, groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat. Que lui reprochez-vous ?
Claude Allègre. La recherche scientifique consomme beaucoup d’argent et les scientifiques doivent justifier leurs recherches pour attirer les crédits….Les gens qui travaillent sur l’épidémiologie vous disent : les épidémies c’est terrible ! Idem dans le secteur de la climatologie. Les responsables du Giec l’ont proclamé : si nous ne sommes pas alarmistes, personne ne nous écoutera ! Sauf que le système est en train de s’effondrer car on va vers une stabilisation et un refroidissement. Ces gens ont érigé le consensus en principe, la pire des choses en science et ils se sont trompés……Il aurait mieux valu dire qu’on ne connaît pas bien le rôle des nuages et de l’océan….et que, par précaution, il est souhaitable de mieux contrôler l’émission de CO2 dans l’atmosphère.
Le Figaro. Pour vous, cette attitude relève d’une démarche idéologique ?
Claude Allègre. Et clanique….Est-il nécessaire qu’il y ait un Giec, autrement dit un organisme qui décide de la vérité transformée en dogme international ? …Nous, Européens, les jeunes en particulier, sommes découragés. L’idéologie de la décroissance participe de cette tendance dépressive. Enfin, par rapport à la Chine et à l’Inde, il faut se garder dune attitude neo-impérialiste. Ce qu’il faut, c’est coopérer avec eux, par exemple en développant l’isolement des bâtiments…le photovoltaïque, la voiture électrique, le nucléaire 4ème génération, la géothermie. C’est ce que font un certain nombre de nos entreprises, loin des tintamarres du style Copenhague.
Luc Ferry. Ce que dénonce Allègre procède d’un état d’esprit qui dépasse l’écologie. Nous avons assisté ces dernières années en Europe à une véritable prolifération des peurs. Peur du sexe, de l’alcool et du tabac, peur des poulets et de la côte de bœuf, peur de l’effet de serre, des nanotechnologies, etc. L’écologie déculpabilise la peur……La peur a cessé d’être une passion honteuse pour finir par inspirer le fameux principe de précaution. En outre, l’écologisme est porteur d’une haine de la modernité qui apparaît dans les films d’Hulot où on nous fait l’éloge des « peuples naturels » comme disait Rousseau….On idéalise les « naturels » pour mieux stigmatiser la modernité. Ce n’est pas un hasard si on retrouve chez les écolos beaucoup d’ex-gauchistes : cette idéologie est le lieu de la collision de tous les antimodernes.
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Le Figaro…Comment expliquer que l’écologie séduise autant la droite libérale ?
Luc Ferry. En Etes-vous sûr ? J’en doute fortement. Ce que je reproche au Grenelle de l’environnement, justement, c’est d’avoir manqué une occasion unique de proposer une écologie de l’innovation et de la rationalité qui aille à l’encontre de l’idéologie de la décroissance et de l’autopunition….
Claude Allègre. Une des raisons de la régression électorale de la droite est liée à l’illusion que l’on peut séduire les écologistes. Jamais elle ne les séduira, parce que le socle de l’écologie idéologique est antilibéral. J’ajoute que cette séduction, qui s’exerce d’abord à gauche, se fait aux dépens des valeurs fondatrices de la gauche elle-même, comme l’a rappelé Axel Kahn. Historiquement, la gauche républicaine est fondée sur l’alliance entre la science, la démocratie et l’idée de progrès. Je suis de cette gauche là ! Le fait pour la gauche de s’allier avec les Verts a mis à mal ce lien entre progrès, science et démocratie.
Luc Ferry. L’union entre la science et la démocratie est en effet au cœur du pacte républicain. La vérité scientifique vaut pour les riches comme pour les pauvres … Le vrai problème est celui de la croissance tenable. Notre responsabilité à nous européens, est d’offrir à la Chine et à l’Inde ou au Brésil, des moyens de se développer sans bousiller la planète. Ce n’est pas gagné d’avance.
Le Figaro. Claude Allègre, à travers la question du climat, vous dénoncez le verrouillage du débat en France.
Claude Allègre. Le rôle des médias est de faire avancer la recherche de la vérité, il n’est pas d’ostraciser ceux qui ne sont pas d’accord. On retrouve ce verrouillage sur bien des sujets, notamment l’immigration… Aujourd’hui, les écologistes sont, pour beaucoup, de très bonne foi. Mais il y a parmi eux des gens qui ont la haine de la société et de l’entreprise. Et de la liberté….
Luc Ferry. Il y a en effet une tendance au verrouillage des débats en France. La pétition lancée à l’encontre de Claude Allègre en témoigne. La vérité n’est pas affaire de pétition et ce n’est pas au politique de trancher entre les savants…
Claude Allègre. Il y a évidemment des problèmes, essentiellement dus au fait qu’en un siècle la population mondiale a explosé. On se doit de les identifier et de chercher des solutions. Au sujet du climat, pourquoi ne pa lancer un grand programme de capture et de séquestratin du CO2 ?...Autour des usines à charbon qui se développeront en Inde, en Chine et aux USA, vous capturez et vous enfouissez le CO2…Enfin il faut développer de nouveaux modes de transport en ville…en promouvant la voiture électrique et plus tard la voiture à hydrogène.
Luc Ferry. …Je me considère comme un écologiste de raison. C’et pourquoi je suis opposé à une idéologie de la décroissance qui va finir par nuire à l’écologie elle-même. Un des points positifs du Grenelle de l’environnement a été de montrer qu’il pouvait exister une écologie qui soit source de richesse et d’emploi. Le paradoxe de la situation actuelle, c’est que ce sont les écologistes qui freinent l’écologie…
Extraits d’un débat entre Claude Allègre et Luc Ferry, publié dans le Figaro du 28 avril 2010…
voir aussi" Droite/ gauche, le clivage le plus bête " http://libertesegales.canalblog.com/archives/2011/10/06/22259008.html