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Contact: marcdhere.mdh@gmail.com 

 RECONQUÊTE est un  mouvement en construction. Ce n'est pas un parti politique, mais un Cercle de Réflexion et d'Action, ouvert à tous ceux, à quelque parti qu'ils appartiennent, ou sans parti, qui se reconnaissent dans ses valeurs et  principes. La Responsabilité et l'équivalence entre droits et devoirs à tous les niveaux,  le libéralisme économique,  la solidarité,  le choix d'une évolution réaliste et progressive dans le social et le sociétal,  l'Europe... 

 

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20 avril 2009 1 20 /04 /avril /2009 15:35


Fin de la publication du rapport d'Alain de Vulpian
...

6/ De la crise à la transformation.

 

A plus d’un titre, la crise économique et financière est une opportunité. Elle nous rend provisoirement plus lucides ; les populations prennent conscience du caractère pervers du modèle de capitalisme dont nous sortons. Elle nous rend plus malléables ; la perturbation de nos habitudes peut nous amener à l’opportunité de changer nos modes de vie et de consommation. Du coup, l’émergence d’un autre modèle d’économie de marché, qui serait en synergie avec ce que devient la société des gens et d’un autre modèle de développement qui serait durable, est facilitée. La crise, enfin, si nous voulons en sortir rapidement, nous contraint à améliorer nos savoirs-faire de pilotage planétaire, amélioration qui nous rendra plus aptes à relever les défis écologiques et géopolitiques.

 

Notre société travaille sur elle-même. Les dirigeants et les gens ordinaires sont impliqués. Il s’agit à la fois d’un travail pragmatique et d’un basculement moral. Travail pragmatique de compréhension des processus en cours, d’invention et de développement de systèmes d’intervention et d’organisation qui soient efficaces. Basculement moral en ce sens qu’il faudra passer du nationalisme à une perspective planétaire et du productivisme à des perspectives humanistes et écologiques. Un tel virage n’est pas impensable car, nous l’avons vu, des vents puissants soufflent dans cette direction qui pourrait marquer un tournant de l’Histoire.

 

La réussite de la transformation dépendra principalement de trois facteurs. (1) De notre capacité à faire émerger un nouveau système de pilotage de la socio-économie planétaire. (2) De la rapidité avec laquelle les entreprises sauront passer d’un capitalisme hyper-financier et court-termiste à un capitalisme anticipatif et centré sur le durable et apprendront à tirer partie de la richesse humaine que nous apporte le nouveau tissu social. (3) Et, enfin, de l’orientation et de l’intensité des pressions que la société des gens exercera sur les pouvoirs politiques et les entreprises.

 

L’émergence d’un nouveau système de pilotage de la socio-économie planétaire.

 

  Au-delà du dirigisme étatique et du laisser-faire : un pilotage avisé.

 

Dans la complexité, pour avoir des chances de piloter de façon avisée, il faut comprendre son fonctionnement de façon suffisamment pénétrante, les interactions structurantes, les latences opportunes et dangereuses, et les processus dominants. La « science économique » et les sciences sociales appliquées ne nous ont pas jusqu’à présent, apporté cette pénétration.

Nos dirigeants n’ont pas vu venir les emballements systémiques d’où est sortie la catastrophe. Les prévisions relatives à la durée, à la gravité et aux cheminements de la crise varient d’un expert à l’autre et d’une semaine à l’autre. Il en va de même des préconisations pour en sortir.  Nos experts et nos dirigeants ont des théories, des penchants idéologiques, des intuitions inspirées par des analogies mais n’ont pas une compréhension pénétrante du cours des choses. Et les trop rares observations de terrain dont ils disposent sont le plus souvent intégrées dans des visions mécanistes et non pas biologiques et systémiques de l’économie. C’est pourquoi les discussions sur la crise sont souvent du niveau des conversations du café du commerce.

Cependant, des progrès s’observent. Les recherches des économistes s’orientent différemment. Depuis le début de la crise, on entend partout en Europe et en Amérique les mots « système » et « systémique ». La prise de conscience qui s’amorce devrait donc favoriser le développement d’un nouveau type d’observations et d’analyses de la socio-économie qui nous aidera à la piloter de façon plus avisée. Mais il est à craindre qu’il faille du temps.

 

Si la crise ne conduit pas le monde que nous connaissons à la dislocation, des organes de contrôle et de pilotage internationaux et mondiaux émergeront probablement. Ils devront  réglementer (notamment la finance) et intervenir pour piloter les développements de la socio-économie. J’emploie le mot « piloter » pour opposer les pratiques qui devraient émerger au  dirigisme étatique aussi bien qu’au laisser faire.

Les expériences désastreuses du Xxéme siècle ont convaincu que, dans les complexités du monde moderne, l’économie ne peut être dirigée et planifiée de façon autoritaire et bureaucratique et dans le détail sans se paralyser. Nous commençons à comprendre que le commandement d’en haut a des chances de déclencher plus d’effets pervers que bénéfiques et, notamment, qu’il a souvent pour effet de stériliser/paralyser des systèmes vivants bénéfiques. La crise financière et économique que nous vivons et la crise climatique montrent que, laissée à elle-même et aux autorégulations spontanées du marché et de la finance, l’économie peut prospérer glorieusement mais nourrit aussi des processus systémiques explosifs catastrophiques et de lents processus pervers qui n’assurent pas le plein-emploi, produisent des poches de misère et de souffrance, des enrichissements iniques, des conflits stérilisants, une détérioration de l’écosystème terrestre, etc.

 

Nous avons besoin d’un pilotage systémique et thérapeutique de la socio-économie qui non seulement ne stérilise pas mais fasse fleurir et tire pleinement partie du potentiel d’auto-organisation du vivant et de ses capacités remarquables d’autorégulation spontanée. Mais il ne leur fait pas pleinement confiance et reste à l’écoute, prêt à intervenir pour traiter les pathologies qui s’amorcent. Ce pilotage doit voir fin (micro),  profond et loin afin de réguler (et éventuellement orienter de façon avisée et intelligente) le cours des choses. Il cultive, au-delà des causes immédiates, une perception systémique des processus sous-jacents et met en place les outils d’observation qui lui permettront d’anticiper plusieurs coups d’avance.

L’intervention n’est pas nécessairement autoritaire car dans le contexte actuel les mesures d’autorité ont souvent plus d’effets pervers que répondant aux intentions de l’intervenant. Elle est souvent catalytique, légère plutôt qu’en force, pour tuer dans l’œuf ou infléchir des amorces perverses ou favoriser des latences bienvenues. On apprend à interférer avec les processus vivants, à faire en sorte que les choses se fassent.

 

Les pilotes potentiels de la socio-économie, attentifs à ses souffrances et à ses pathologies, veillant à sa bonne santé, se trouvent confrontés à des défis d’une très grande complexité tels que, par exemple :

 

-          comment faire en sorte que l’activité financière et/ou spéculative soit moins rémunératrice que la production, l’industrie, le développement, la création, … ?

-          comment rendre la socio-économie accueillante pour les jeunes issus de milieux défavorisés ?

-          comment réduire les enrichissements et les appauvrissements iniques ?

-          comment accélérer le développement d’un new deal vert ?

-          comment accélérer le développement en cours de la préférence des gens pour les aménités aux dépens des surenchères d’acquisition ?

-          comment faciliter l’intégration du monde musulman et de l’Afrique dans le processus de modernisation ?

-          comment alimenter, dans la société planétaire, dans les relations du travail ou dans le jeu politique intra-national, le déclin en cours des conflits idéologiques, des oppositions de camps, des jeux à somme nulle au profit des conversations créatives et des jeux gagnant/gagnant ?

-          etc.

 

 

Pour relever des défis de cette nature, les pilotes potentiels de la socio-économie doivent affiner leur perception et leur compréhension des processus micro et macro-systémiques qui sous-tendent ces phénomènes. Il s’agit là d’une entreprise pragmatique à ambition expérimentale et scientifique. Elle implique de la praxis et de la recherche appliquée.

 

Praxis. Des millions d’Occidentaux ont, dans leur vie quotidienne, au cours du dernier demi-siècle, réveillé leur empathie et cultivé leur intuition interpersonnelle et sociale. Ils sont devenus des socio-perceptifs intuitifs assez habiles. Des pères de famille, des gens ordinaires, des leaders, des innovateurs, des agents de changement dans les entreprises ont appris sur le tas à sentir les dynamiques qui sous-tendent le cours des choses et à intervenir pour les influencer. Les entreprises, les administrations, les gouvernements et les Etats peuvent s’organiser pour tirer partie de cette opportunité.

Recherche appliquée.  Nous devons encourager le développement d’une sociologie et d’une économie politique micro-systèmiques qui accumuleront des observations et analyses de terrain. Elles devront rompre avec le concept d’un Homo economicus, soit disant rationnel, et prendront pleinement en compte les personnes vivantes et inter-agissantes. Leur développement impliquera une révolution intellectuelle : l’abandon de la logique de la mécanique pour la logique du vivant.. Elles répondront à l’ambition scientifique et technologique, caractéristique de notre époque, que partagent les neurosciences, les nanotechnologies, la génétique et la biologie en général : comprendre les micro-systèmes et les micro-processus pour pouvoir intervenir de façon douce et économique au niveau macro.

 

 

De nouveaux organes de pilotage vont émerger.

 

Les dynamiques socioculturelles poussent les gens et les choses dans de nouvelles directions. Les gens ordinaires demandent à participer aux décisions d’orientation qui les concernent et pèsent par leurs initiatives. La société des gens et les socio-systèmes qui en émanent ont une influence croissante sur le cours des choses. Des vagues d’intelligence collective, éventuellement relayées par Internet, peuvent brutalement changer certains paysages. L’habileté sociale des leaders et des innovateurs les rend de plus en plus capables, indépendamment des dirigeants en place, de faire en sorte que se produisent les sauts adaptatifs qui demandent à naître. Les réseaux informels d’influents accroissent leur pouvoir effectif. Les Etats, enfermés dans leur périmètre national, voient le leur se réduire mais les réseaux d’Etats jouent un rôle croissant. Les rencontres personnelles, face à face, entre les dirigeants politiques et autres influents se multiplient, notamment dans les situations d’urgence ; elles réveillent l’empathie des uns et des autres et facilitent les ajustements réciproques. Les organisations « idéologiques à militants » perdent du poids sauf parfois lorsqu’elles sont religieuses. Des institutions internationales post-étatiques émergent telles la Communauté Européenne, des cours internationales de justice, de grands forums mondiaux, … Le G20 s’installe à la place du G7. Un nouveau progrès de la démocratie est attendu dont on ignore encore les formes qu’il prendra.

 

Eventuellement stimulés par les crises, de nouveaux lieux de pouvoir ou d’influence, plus ou moins formels, éphémères ou durables, voient le jour. Réseaux de personnalités. Réseaux d’Etats, Réseaux d’ONG. Think Tanks. Mélanges des uns et des autres. Bien des prises d’orientation surgiront d’un inter-ajustement entre des instances différentes dialoguant en réseaux. Mais, des lieux d’autorité s’avéreront indispensables pour imposer certaines règles du jeu et sanctionner les déviances. Ils seront probablement spécialisés et ne seront pas étatiques. Ils ressembleront à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), au FMI (Fonds Monétaire International) ou à la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) des années 5O.

 

 

Le pilotage de la socio-économie devra, pour être efficace, devenir moins national, plus local et surtout plus global

Nous avons besoin d’une régulation mondiale de la finance comme nous avons une régulation du commerce mais probablement plus contraignante. Et le problème est beaucoup plus large : la Terre a besoin que s’installent des régulations qui lui permettent d’affronter ses défis globaux géopolitique, écologique et religieux.

De nouveaux organismes, formels ou informels, de conversation, d’inter-ajustement et de décision éclosent ici et là. Le sentiment de la gravité et la conscience du caractère systémique et planétaire des crises stimulent leur développement. Mais rien n’est joué dans un monde où bon nombre de dirigeants restent marqués par des souvenirs de souveraineté, de hiérarchie et de formalisme. Les particularismes, les nationalismes et les tribalismes restent actifs et peuvent être renforcés par les situations dramatiques nées de la crise ou d’autres crises à venir, climatiques par exemple. Et nous conduire à la catastrophe.

 

Les entreprises peuvent conduire la transformation.

 

La conduite effective des entreprises exercera une influence éventuellement décisive sur le cours des choses. Les entreprises hâteront la sortie de crise et se porteront d’autant mieux qu’elles contribueront plus activement à l’émergence d’un nouveau capitalisme qui sera en synergie avec la société et la planète. Les enquêtes de Sol France et du Club des Vigilants nous montrent que beaucoup sont déjà bien engagées sur cette voie 2.

 

2 Cette partie de l’analyse doit beaucoup aux informations fournies par un réseau informel d’observations et d’analyses des signaux faibles du changement socioculturel et par deux recherches de terrain. Le Club des Vigilants a conduit quelques dizaines d’entretiens auprès de dirigeants français et SOL France (Société pour l’Organisation Apprenante) en a fait autant avec une quarantaine d’agents de changement dans de grandes entreprises.

 

 


Les situations de  départ sont diverses.

 

Les deux recherches de terrain en cours auprès d’entreprises européennes dévoilent des situations très diverses. Elles nous montrent des entreprises dont les cultures de management, les styles de vie et les stratégies en sont à des points très différents.

Un petit nombre d’entre elles ont été très profondément marquées par une culture de management extrêmement compétitive à dominante financière et sont encore en quête du maximum de profitabilité à très court terme par organisation rationnelle et serrage de boulons. Cette culture les a éloigné de leurs stratégies de développement naturel, des évolutions possibles de leur métier et de leurs techniques, de leur réalité d’équipes vivantes, de leur rôle potentiel de thérapeutes sociaux et du souci de contribuer à préserver l’écosystème terrestre. Le retour éventuel à une culture industrielle ou à une culture du vivant exigera de leur part un profond travail sur soi.

A l’opposé, quelques entreprises semblent avoir été protégées des effets toxiques du capitalisme hyper-financier et court-termiste. Ce sont des organismes relativement vivants, cohérents et stratèges habiles, bien insérés dans leur environnement en devenir. Elles paraissent bien équipées pour opérer dans les complexités de l’environnement du XXIème siècle.

La plupart des entreprises observées ont été marquées par la culture financière dominante mais ont déjà amorcé des conduites qui les en éloignent. Certaines le font délibérément en réponse à une impulsion stratégique émanant de la Direction générale. Chez d’autres, ce changement de pied ne répond pas à une décision claire de la Direction mais traduit des réactions spontanées de la sociologie interne : des agents de changement se sont plus ou moins librement installés en des points névralgiques et catalysent l’émergence d’innovations adaptatives. Dans tous les cas, ces conduites innovantes indiquent des pistes intéressantes qui pourront orienter de nouveaux efforts délibérés.

 

Plusieurs pistes stratégiques semblent particulièrement porteuses.

 

 

Survivre en bonne santé.

 

En  réponse immédiate à la crise, ce sont souvent des idées de manœuvre paradoxales qui s’avèrent fécondes. Elles allient des objectifs qui peuvent paraître peu compatibles. Elles visent, par exemple, à serrer les boulons et, en même temps, à renforcer la cohésion des équipes. Il faut serrer les boulons, border la voilure, non pas pour atteindre le maximum de profitabilité mais pour survivre à la crise et ne pas risquer de se trouver en cessation de paiement. Il faut simultanément restaurer ou renforcer la cohésion et l’implication des équipes. Dans quelques cas, c’est en impliquant assez largement les personnels dans la compréhension des scénarios de crise et l’imagination des parades qu’on y parvient.

 

 

 

L’entreprise est  protégée ou se protége des pressions de l’hyper-financier.

 

L’effort de reconstruction du système financier devra viser à ce que les orientations stratégiques d’une entreprise ne répondent pas au souci dominant d’obtenir la rentabilité la plus forte possible à très court terme mais à celui d’assurer sa vitalité et sa profitabilité durables.

 

Peut-on réduire le poids des actionnaires par rapport à celui des autres stakeholders ? Tout particulièrement, réduire l’influence sur les orientations et les stratégies d’une entreprise de ceux de ses actionnaires spéculatifs qui ne sont pas attachés à sa vitalité durable.

 

Il est concevable d’imaginer de nouvelles réglementations ou codes de bonne conduite, différencier les droits de vote selon les types d’actionnaires, assurer une certaine protection à l‘entreprise contre les OPA inamicales, revoir la composition des conseils d’administration. L’établissement de règles qui seraient de portée internationale sera pour le moins laborieuse.

 

La voie qui consiste à accroître le pouvoir juridique des syndicats ou des associations de consommateurs serait pernicieuse si elle aboutit (dans les pays comme la France où domine encore un syndicalisme de combat) à institutionnaliser le conflit et la négociation entre camps opposés là où nous avons besoin d’inter-ajustements créatifs.

 

Klaus Schwab, l’animateur de Davos, qui a l’oreille de l’establishment, ouvre une piste de réflexion. Il suggère, lors d’une interview, d’instituer une sorte de serment d’Hippocrate que prêteraient tous les chefs d’entreprise. Passer de la compétition pour le profit à l’engagement de travailler au bien de l’entreprise-organisme-vivant, de ses personnels, de la société et de l’écosystème terrestre représenterait un saut culturel majeur ; il n’est peut-être pas impensable dans la mesure où il pourrait répondre au besoin de sens et d’harmonie qui se répand dans nos société.

 

Les rémunérations, les bonus et autres avantages des dirigeants pourraient être indexés non pas sur les cours de la bourse mais sur des indicateurs liés à la vitalité et au développement durables de l’entreprise.

 

Nous avons observé des entreprises qui sont restées (ou devenues) des organismes vivants pleins de vitalité, où l’ensemble du personnel constitue une globalité cohérente dont l’intelligence collective irrigue les décisions stratégiques. Elles ont des visions d’avenir et se sont choisi quelques lignes de développement porteuses. Si leur situation financière est saine, un management habile trouve (dans cette solidité sociale et morale) un support sur lequel s’appuyer pour résister aux pressions d’éventuels actionnaires spéculatifs. Cet atout est peut-être essentiel pour équilibrer le pouvoir des actionnaires.

 

 

Réveiller une culture de l’avenir.

 

Des entreprises qui se réveillent du court-termisme ont besoin de ranimer la gamberge stratégique au sein de leurs états-majors et de réorienter en ce sens la conversation interne. De stimuler l’intelligence collective en l’orientant sur l’avenir du métier, des techniques de production, des produits, des consommateurs, de modes de distribution et de communication … De penser plans de développement  plutôt que « business plans ». De ranimer les réflexes qui conduisent naturellement un organisme vivant à cultiver des visions d’avenir, à voir venir des menaces et des opportunités plus ou moins lointaines et à se préparer à les parer ou à les exploiter.

En fait, nous observons, parmi les états-majors des entreprises françaises, l’amorce d’un mouvement dans ces directions. Nous indiquions dans une note du Club des Vigilants du printemps dernier que « Nous rencontrons de plus en plus fréquemment des états majors qui ont pris ou prennent conscience que leur entreprise ou tels de ses établissements ou de ses activités, est confronté, très au delà du court terme, à des défis fondamentaux. Si l’entreprise poursuit son chemin à l’identique elle va péricliter. Il faut imaginer un avenir différent…. Chez certains l’idée qui domine est que le champ stratégique de concurrence subit un bouleversement radical et qu’il va falloir se réinventer pour répondre à ce défi. Le monde devient multipolaire et la domination écrasante de la planète par l’Occident appartient au passé. Les « BRIC » sont entrés dans la compétition et disposent d’atouts importants. L’enchérissement de l’énergie, des matières premières, des transports modifie les équilibres…. Il existe une énorme clientèle potentielle pauvre qui constitue un autre type de marché potentiel. L’intervention des pouvoirs publics va probablement se renforcer et prendre des formes nouvelles. »

 

 

Miser sur l’écologie et le développement vert.

 

La même note des Vigilants ajoutait : « Le développement durable recèle des opportunités majeures pour qui apprend à les saisir. Dans certaines entreprises classiques et fortement polluantes, le développement durable devient un thème de réflexion stratégique central au niveau de la Direction Générale. Il ne s’agit plus de prétendre participer au sauvetage de la planète pour se donner une bonne image mais d’inventer les marchés du futur, ceux qui permettront la survie et l’expansion de l’entreprise. Nos observations montrent qu’en s’engageant sur cette voie des entreprises amorcent des transformations profondes. En effet, pour parvenir à imaginer ces nouveaux développements et concevoir les moyens de les réaliser, l’entreprise doit s’ouvrir au monde extérieur. Elle doit concentrer ses explorations et ses réflexions sur le moyen et le long terme. Elle a besoin d’éveiller l’intelligence collective de ses personnels et de rendre le dialogue social plus constructif en le centrant sur des horizons plus lointains.. »

 

 

Réveiller une culture du vivant en retrouvant l’accord avec la société et son personnel.

 

Dans plusieurs entreprises que nous avons visitées, la crise et l’inquiétude qu’elle réveille font prendre conscience d’une dangereuse perte de résilience. Pour passer la crise et pour en sortir en pleine efficacité, des entreprises ont besoin de mobiliser (ou de ranimer) ce qu’elles peuvent de leur vitalité et de leur cohésion. Il s’agit, pour certaines, de rester, pour beaucoup, de devenir  un organisme cohérent, tonique, plein de vitalité, bien connecté et ajusté à ses environnements. Ceci implique de la part du management une écoute attentive (interne et externe) et une posture thérapeutique.

Les enquêtes montrent que l’inquiétude gagne et prépare bon nombre d’états-majors à de telles actions. Conscience se prend de l’importance du stress, du désenchantement et de la désimplication d’une partie du personnel et notamment des jeunes, de la difficulté à recruter et à conserver des hauts potentiels et des innovateurs. Du caractère contre-productif des formes classiques de management, d’organisation et de gouvernance. De la paralysie de l’innovation que produit la bureaucratie. Du sursaut moral qui enfle dans le public contre la grande entreprise.

 

Mais, au-delà de ces prises de conscience, les enquêtes montrent que de nombreuses entreprises développent des savoirs-faire d’animation et des pratiques de participation qui améliorent à la fois l’efficacité des actions et la cohésion des équipes. C’est presque une surprise de constater qu’un très grand nombre de prises de vie se produisent spontanément. Elles émergent de la sociologie de l’entreprise. La personnalité des collaborateurs se transforme, la société nouvelle et les nouvelles technologies de la communication interpersonnelle pénètrent dans l’entreprise. Des socio-systèmes et autres réseaux sociaux s’installent spontanément dans les interstices des organigrammes : ils s’autorégulent et influencent le cours des choses. Des agents de changement s’improvisent et prennent de l’influence. Ces agents de changement se sont installés au cours des ans en ordre dispersé pour répondre, ici et là, à des besoins ressentis localement. Certains travaillaient dans l’innovation, d’autres dans l’enrichissement des compétences, d’autres dans les relations sociales, d’autres encore font du coaching… D’autres sont tout simplement appelés à prendre des responsabilités mais les assument de façon innovante. Ce sont souvent des personnalités fortes et innovatrices, équipées d’une fine perception des processus sociaux, habiles à tirer partie des situations et à faire émerger des ajustements.

Dans les quelques entreprises où nous avons enquêté, l’efficacité et la multiplication des agents de changement suscitent des prises de conscience. Les porteurs de changement prennent conscience qu’ils constituent un réseau qui peut devenir connivent et la Direction corporate prend conscience qu’un outil précieux s’est mis en place qu’elle va pouvoir utiliser plus délibérément.

 

L’intervention de la société des gens.

 

La société des gens exerce et va exercer des pressions fortes voire décisives sur nos dirigeants politiques et sur les entreprises.

 

Cette société des gens est une réalité relativement nouvelle. Elle a déjà pris un grand poids dans les pays très industrialisés. Elle émerge aujourd’hui en Chine, en Inde, en Russie et ailleurs où les développements d’Internet, des téléphones mobiles et des réseaux sociaux lui servent de supports. Elle enjambe les frontières. Appuyées par des associations et des réseaux dont c’est l’objectif, des société civiles nationales ou continentales entrent en communication.

 

Elles sont constituées de gens ordinaires relativement autonomes, de leurs réseaux et socio-systèmes, des dispositifs de communication interpersonnelle qui les irriguent, des ONG et autres organismes plus ou moins structurés qui en émanent et y puisent leur force.

Des gens relativement autonomes échappent à l’encadrement des appartenances et des camps constitués. Un sujet leur semble émerger comme important. Ils élaborent à son propos une analyse personnelle et se forment une position. Celle-ci est influencée par la variété des interactions qui les relient aux gens qu’ils aiment bien, aux réseaux et aux socio-systèmes dans lesquels ils ont un pied. Elle est influencée aussi par les informations qui leur parviennent, qu’ils acceptent et qu’ils retransmettent éventuellement et par les réseaux de télécommunication interpersonnelle auxquels ils participent. De l’ensemble de ces interactions émergent des configurations fluctuantes, des lignes de force, parfois des clivages, parfois d’énormes vagues d’intelligence collective.

 

Des vagues d’intelligence collective puissantes se sont déjà formées et pèsent sur les pouvoirs politiques et les entreprises. Nous avons évoqué l’énorme vague mondiale qui fait de la protection de l’environnement un objectif majeur. Une autre émane des populations de tout l’Occident et condamne l’enrichissement indu des financiers et des dirigeants.

Des réseaux et des acteurs variés cherchent à repérer les vagues en formation afin d’alimenter certaines et de tenter d’en dévier d’autres. Allons-nous voir se former une vague favorable à un pilotage supranational de la socio-économie européenne ou mondiale ? Une vague porteuse d’un sursaut moral et néo-spirituel ? Des vagues centrées sur la mise au pilori de telle banque, telle entreprise, tel paradis fiscal ? Allons nous voir se multiplier les actions de commandos contre une entreprise qui pollue ou licencie, une banque qui met une entreprise cliente en difficulté, un centre commercial incarnant la vie chère ?

 

Des initiatives planétaires extra-étatiques émanent de la société civile. Par exemple, la Clinton’s Climate Initiative a donné naissance à un réseau des 50 principales villes de la planète qui se concertent et montent une organisation pour réduire plus efficacement toutes ensemble leur production de CO2. Elle a entrepris de conduire une expérience analogue avec les 50 principaux ports.

 

Des gens ordinaires s’attachent à faire évoluer les choses dans ce qui leur semble de bonnes directions. Ce sont des agents de changement qui travaillent dans des entreprises ou ailleurs. Ils agissent parfois seuls et parfois découvrent leurs semblables et forment avec eux des réseaux de connivence. Il existe des réseaux mondiaux, tel SOL (Society for Organizational Learning), qui associent de tels agents de changement opérant dans des dizaines de pays. Des fondations conçoivent et déclenchent de grandes opérations qui favorisent le développement des libertés publiques (p.ex. Sorros), la protection des équilibres climatiques (p.ex. Al Gore, Clinton’s Climate Initiative, Nicolas Hulot), ou l’intercommunication des société civiles (p.ex. le China-Europe Forum de la Fondation pour le Progrès de l’Homme) et bien d’autres.

 

 

Des réseaux de réflexion et d’influence se construisent partout à l’appui du mouvement vers une société plus humaine, plus harmonieuse et respectueuse de la vie. Ils sont tentés de réfléchir à des stratégies communes.

 

 

Alain de Vulpian.

 

 

 mars 2009.

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commentaires

M
Merci à Alain de Vulpian pour la qualité et l'intérêt de ce rapport. Le blog "social libéral" est fier d'avoir pu présenter un texte d'une telle richesse. Je suis persuadé que ses lecteurs s'associent à ces éloges et ces remerciements.
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