....Suite du rapport d'Alain deVulpian...
2/ Laisser-faire les gens et la société.
Sous l’influence de l’idéologie démocratique renforcée par celle du laisser-faire que théorisent quelques économistes, les Pouvoirs Publics se sont abstenus de réglementer et de commander les gens et la société. Le libre développement du processus de civilisation dans des directions humanistes et de croissance personnelle qu’il avait prises depuis le milieu du XXème siècle en a été facilité. La résistance de la société institutionnelle aux changements spontanés des gens et du tissu social a été moins forte qu’elle aurait pu l’être. Les Européens et les Américains ont grandi ; ils sont devenus plus personnels, plus soucieux d’accroître leurs marges de liberté et finalement plus autonomes et plus capables de conduire leur vie à leur façon.
La société est devenue plus ouverte, plus spontanée, plus auto organisée et auto régulée. Les appartenances fortes et, parmi elles, les structures héritées de la lutte des classes ont dépéri. Internet a été laissé libre de s’organiser. Les réseaux et les associations ont fleuri librement, sont devenus des ONG, les sociétés civiles ont pris du poids, une société civile planétaire a commencé à émerger.
Explorons les grandes lignes de ce libre processus.
Des millions puis des centaines de millions de gens autonomes sont entrés dans un parcours d’apprentissage d'eux-mêmes, des autres et de la société. Ils découvrent progressivement que des conduites plus avisées de leur vie personnelle peuvent remplacer des conduites anciennes. Ils n’abandonnent pas leur centration sur le « moi » mais découvrent que, pour leur bonheur, le « nous » est tout aussi important. En décidant par eux-mêmes quoi faire et qui voir, ils font émerger un nouveau tissu social.
A la recherche de conduites avisées, ils font des découvertes. Certaines d’entre elles, qui sont partagées par la plupart, vont orienter la construction et le fonctionnement de ce nouveau tissu social :
° Ils prennent conscience que la recherche du grand bonheur (grand amour, grande réussite, lendemains qui chantent, …) est illusoire et qu'ils ont couru après des leurres qui ne leur ont pas apporté une sensation durable de bonheur. C'est l'accumulation quotidienne des petits bonheurs, des joies et des bien-être qui leur apporte une sensation durable de bonheur.
° Ceux qui y ont goûté, prennent conscience que l'affection et l'entretien des affections et des amours est un des grands, souvent le plus grand, des apporteurs de bonheur. Il peut aider à résister à bien des malheurs, à les compenser. Nos contemporains cherchent et sélectionnent les contacts en vue de se relier.
° Ils prennent conscience que le stress, les heurts, les tensions, les blocages peuvent être douloureux et qu'il est important pour eux d'entretenir une certaine paix; à la fois paix de l'esprit et paix sociale. Ils aiment se trouver dans des ensembles humains qui fonctionnent au doigt et à l’œil, qui baignent dans l'huile, sont pleins de vitalité, s'épanouissent et épanouissent leurs participants.
° Bon nombre d'entre eux découvrent qu'ils sont plus à leur aise et plus heureux quand ce qu'ils font leur paraît avoir du sens. A du sens ce qui leur paraît, réflexion faite, servir dans la durée, ce qui leur tient à cœur ou ce qui développe en eux des émotions spirituelles. Ils ont tendance à abandonner des conduites qui leur semblent dépourvues de sens, notamment la course à la consommation.
Ces découvertes motivent les conduites d’ajustement de beaucoup de gens. Elles orientent ainsi cette société vers ce qui fait du bien aux personnes : petits bonheurs, affections, paix de l’esprit et harmonie, sens.
Chaque personne est une force extrêmement faible mais des millions de forces faibles qui s’orientent dans les mêmes directions ont un énorme pouvoir de destruction et de construction. Déconstruction des structures, des relations et des habitudes pesantes. Construction de structures, de relations et d’habitudes hédonistes.
Destruction. Dés les années 70, des gens avaient commencé à quitter sur la pointe des pieds la société institutionnelle, ses règles, ses tabous, ses enfermements, ses hiérarchies. Ils vont rapidement se multiplier dés les années 8O. Cette désertion prive de leur vitalité un grand nombre d'entités sociales, la nation, les églises, les partis politiques, des associations institutionnalisées et bien d'autres. Au sein des organisations, la force du tropisme hiérarchique décroît rapidement : l’usage de l’autorité et l’encadrement peuvent être sans effet ou avoir des effets pervers, provoquer des turbulences. Le mimétisme hiérarchique s’efface devant le mimétisme de plain-pied : on imite plus volontiers ses copains ou les gens pour qui on a de la sympathie que les gens d’en haut.
Construction. Ces gens ne partent pas sur la pointe des pieds vers la solitude. Ils s’évitent, se connectent, se déconnectent et se reconnectent à des personnes et à des ensembles qu’ils choisissent de façon autonome et qui les choisissent. Cependant, l’autonomie de chacun est limitée par le besoin qu’il a d’entretenir ses affections, ses insertions et la paix. Chacun est prêts à certains sacrifices, renoncements pour conserver une relation précieuse mais seulement jusqu’à un certain point. Chacun hésite à s’engager pour la vie et veut conserver une certaine liberté de rompre le contact s’il devient insupportable ou moins gratifiant. Les interajustements qui fonctionnent, à la satisfaction mutuelle, ont tendance à se stabiliser et produisent des émergences adaptatives. Mais la société reste tolérante et permissive et les connexions restent le plus souvent relativement faibles et floues.
Les gens forment des réseaux et des collectifs qui s’auto-organisent. En leur sein, les gens relativement autonomes s’inter-influencent formant ainsi des sociosystèmes qui s’autorégulent. Des interactions et imbrications entre micro-socio-systèmes émergent des systèmes plus larges. De proche en proche se construit ainsi un tissu social fractal d’une extrême complexité.
Cette société vivante, telle que nous l’observons au cours des années 1990 et 2000 en Europe et en Amérique du nord, a la remarquable propriété d’assez bien réguler ses prises d’orientation et ses équilibres. Dans la vie quotidienne, de très nombreux processus spontanés d’auto-organisation débouchent sur les petits bonheurs, les améliorations de bien-être, les ajustements, les harmonies, les expériences de sens attendus. C’est une société dont les mécanismes internes tendent à freiner les penchants voraces, guerriers, agressifs et prédateurs de l’espèce humaine. Et, lorsque des pathologies se développent, lorsque des processus pervers induisent des tensions, des rejets, des coupures, des douleurs récurrentes qui sont souvent des germes d’agressions et de conflits, des gens, leurs réseaux et leurs associations perçoivent le danger ou la souffrance et prennent des initiatives correctrices (p.ex alcooliques anonymes, aide aux jeunes en difficultés, aux femmes battues, planning familial, fondations charitables, think tanks d’intérêt général, etc.). C’est un véritable système immunitaire et réparateur qui s’auto-organise ainsi. La société providence ou fraternelle dont nous avons besoin pour affronter les conflits du XXIème siècle s’esquisse. Mais ces contre-mesures ne sont pas nécessairement décisives ni suffisantes : certaines pathologies ne sont pas traitées, la société auto-organisée est en manque d’interventions thérapeutiques avisées qui pourraient assurer une régulation de niveau supérieur, une sorte de gouvernance (ou d’auto-gouvernance) sachant voir venir de loin et détourner précocement les processus pathologiques.
...........
....Suite à venir....
Alain de Vulpian