par Nicolas Baverez, Le Point du 12 02 09...
L'année 2009 sera décisive
pour la trajectoire de la crise et, partant, pour la mondialisation. Non qu'elle puisse voir une reprise de l'activité : après la crise immobilière en 2006, la crise du crédit en 2007, la crise financière en 2008, 2009 est placée sous le signe d'une crise économique et sociale mondiale, avec une croissance nulle et 51 millions de chômeurs supplémentaires, selon l'OIT. Mais elle jugera de l'efficacité des politiques mises en place depuis l'automne 2008 pour sauver le système bancaire, enrayer la déflation, endiguer les pressions protectionnistes.
Soit la récession est bloquée, et l'espoir d'une lente et chaotique amélioration à partir de 2010 renaît. Soit la cascade des faillites et des suppressions d'emplois s'emballe, ce qui conduit à une désintégration des échanges et des paiements mondiaux, ouvrant la voie, comme dans les années 1880 ou 1930, à une longue stagnation et à des troubles politiques aigus.
Deux éléments seront déterminants
la vitesse de déploiement des plans de relance nationaux et la réunion du G20, en avril, à Londres, qui tranchera sur la volonté réelle de doter le capitalisme mondialisé d'institutions et de règles fiables.
Dans tous les cas, des mesures hétérodoxes seront requises, a fortiori si la situation venait à se dégrader. Ainsi des banques qui ont constaté 1 000 milliards de dollars de dépréciation sur 2 500 milliards de pertes et qui vont devoir faire face à la multiplication des défaillances d'entreprises : dans bien des cas, leur survie comme le maintien de l'activité de crédit passeront par la création de structures de défaisance et par la nationalisation, comme au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis.
Ainsi des banques centrales, qui, au-delà des taux zéro, s'engageront dans le rachat sur le marché d'actifs toxiques et de titres de la dette publique.
Ainsi des gouvernements, qui seront amenés à amplifier et diversifier les mesures nationales de soutien à l'activité tout en coordonnant leurs interventions.
Ainsi de l'Union européenne et de la zone euro, dont les instruments traditionnels-régulation du grand marché par la concurrence, politique monétaire centrée sur la lutte contre l'inflation, pacte de stabilité-ont implosé sous le choc de la déflation et qui devront faire preuve d'une solidarité accrue vis-à-vis des pays les plus menacés : l'Europe méditerranéenne et les nouvelles démocraties, en raison du rationnement des financements et de la hausse du coût de la dette ; l'Espagne, en raison du chômage (20 % de la population active en 2010) ; le Royaume-Uni, en raison de l'endettement des ménages (160 % du revenu disponible), du poids de la City (25 % du PIB), de l'ampleur de la bulle immobilière et de l'extinction progressive de la rente pétrolière de la mer du Nord.
Loin d'être protégée par son modèle
économique et social, la France est particulièrement exposée. Elle a été rattrapée par la crise au moment même où elle s'engageait dans la modernisation de ses structures productives, cinq à vingt ans après les autres grands pays développés. Le niveau élevé des dépenses publiques (54 % du PIB) et de l'emploi public (25 % du PIB) freine à court terme la baisse de l'activité et la remontée du chômage.
Mais quatre contraintes enserrent les stratégies de reflation et retarderont la sortie de crise. La contrainte financière, avec une dette publique de 66 % du PIB en 2008 et qui va s'élever au-delà de 80 % en 2012.
La contrainte extérieure, avec un déficit commercial de 55 à 56 milliards d'euros en 2008, qui oblige à user avec prudence des mesures de soutien à la consommation, sauf à refaire les erreurs de 1981 en ruinant le pays au bénéfice des nations exportatrices, Allemagne et Chine en tête.
La contrainte productive, avec une envolée des faillites (58 000, en hausse de 15 % en 2008) sur fond de chute des marges des entreprises depuis 2000 (moins de 30 % de la valeur ajoutée).
La contrainte sociale, enfin, avec un chômage de masse qui n'a jamais été éradiqué depuis les années 70, contrairement à l'immense majorité des économies développées.
Voilà pourquoi relance et réforme sont indissociables
Et ce d'autant que la crise, même si la déflation est désamorcée, débouchera sur une phase durable de croissance molle et de chômage élevé, tout en imposant une refonte de la régulation du capitalisme.
En France d'abord, où la relance doit être mise au service de la productivité via l'investissement productif et la recherche, garants de l'emploi présent et à venir, via la réforme du secteur public-qui a confisqué le surplus de richesse produit au détriment du travail depuis vingt ans-, via la formation et la lutte contre l'exclusion. La meilleure défense de la consommation et du pouvoir d'achat, c'est l'emploi-au moment où la baisse des prix améliore le revenu réel des ménages. Le meilleur vecteur de la sortie de crise, c'est la reprise du crédit et la restructuration des secteurs les plus touchés-banque et automobile en tête.
En Europe ensuite, dont les institutions ont fait la démonstration de leur fragilité en même temps que la crise provoquait une renationalisation et une divergence explosive des politiques économiques. D'où la nécessité de coordonner les programmes de relance entre les pays excédentaires, qui doivent privilégier la consommation, et les pays déficitaires, qui doivent cibler l'investissement. D'où la nécessité d'un gouvernement économique de la zone euro qui puisse être étendu au Royaume-Uni et d'une révision des missions de la BCE.
Au sein du G20 enfin, qui offre une occasion exceptionnelle, aux antipodes de l'échec de la conférence de Londres en 1933, qui accéléra la dépression mondiale, d'imaginer une régulation adaptée à l'âge d'un capitalisme universel dont l'Occident n'a plus le monopole.
Nicolas Baverez
Le Point du 12 02 09