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Contact: marcdhere.mdh@gmail.com 

 RECONQUÊTE est un  mouvement en construction. Ce n'est pas un parti politique, mais un Cercle de Réflexion et d'Action, ouvert à tous ceux, à quelque parti qu'ils appartiennent, ou sans parti, qui se reconnaissent dans ses valeurs et  principes. La Responsabilité et l'équivalence entre droits et devoirs à tous les niveaux,  le libéralisme économique,  la solidarité,  le choix d'une évolution réaliste et progressive dans le social et le sociétal,  l'Europe... 

 

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9 novembre 2010 2 09 /11 /novembre /2010 13:32

 

Pascal Bruckner,  dans lemonde.fr du 06 11

Les grèves récentes auront montré le spectacle stupéfiant de lycéens manifestant pour leur retraite. Etrange inversion des temps : avant même d'avoir commencé une vie d'adultes, ces adolescents aux tempes grises pensent déjà à la clore. L'avenir doit être écrit à l'avance et l'existence sécurisée du début à la fin. On songe à ce sondage publié il y a quelques années où 70 % des Français de moins de 30 ans se souhaitaient une carrière de fonctionnaire, protégée de tous les aléas.

Les jeunes sont donc bien à l'avant-garde du plus grand parti de la France : le parti de la peur. Les Français ont peur du monde, peur des autres, et plus encore, de leur propre peur. Et ils accroissent leur frayeur en voulant éliminer le moindre risque. C’est un effroi entretenu jour après jour par les médias et  l’intelligentsia et qui vient d’abord de notre incapacité à maîtriser un univers devenu trop complexe pour nous.

 

La passion française pour la grève est moins un signe de vitalité que de routine, bel exemple d'une conquête transformée en rituel, voire en symptôme dépressif. Olivier Besancenot n'avait-t-il pas proposé en 2003 de créer un grand parti de la grève ? Les enfants pourraient en faire partie avant d'avoir occupé le moindre emploi !

 

Même si le mouvement d'octobre a été motivé par la détestation de Nicolas Sarkozy, il fut surtout une façon d'exorciser la méchanceté du monde, cette pression de tous sur chacun que l'on nomme la globalisation. Le recours systématique à la grève naît d'un sentiment de dépossession : notre pays a cessé depuis longtemps d'être "la nation indispensable" dont les coutumes et les lois influencent les autres sociétés.

 

Nos voisins européens ont été surpris de nous voir descendre dans la rue pour deux années de travail supplémentaires quand eux-mêmes ont déjà accepté la retraite à 65 voire 67 ans. Ils y ont vu un trépignement d'enfants gâtés qui préfèrent casser leurs jouets plutôt que d'accepter une réforme, au demeurant incomplète.

 

Dira-t-on que nos compatriotes, fidèles à leur esprit frondeur, ont osé se cabrer quand les autres peuples se sont couchés ? Mais, au final, la loi est passée et les arrêts de travail n'étaient rien d'autre qu'une grosse colère pour avaliser une décision impopulaire. Il nous faut penser ce paradoxe d'une révolte qui est une forme subtile de renoncement. On s'insurge parce qu'on s'est déjà résigné. La grève est l'autre visage du consentement.

 

Allergie à l'adversité

Dans l'Hexagone, les pessimistes professionnels pullulent - l'essayiste et pamphlétaire Philippe Muray en fut l'un des plus talentueux ; mais s'ils se moquent de tout, ces atrabilaires prennent leur désespoir très au sérieux. On ne plaisante pas avec le désenchantement ! Voyez les trois doctrines dominantes qui se partagent le marché des idées chez nous : la repentance qui exhorte les Français à la honte d'eux-mêmes, le catastrophisme qui brandit le spectre de la fin du monde, la victimisation qui nous dépeint en parias. Toutes ont un trait commun : la culture de la jérémiade.

 

France doit rimer avec souffrance, nous ne sommes jamais assez reconnus, assez aimés, payés, soignés, cajolés, récompensés. La nation entière n'est qu'un immense syndicat de plaignants. Et pourtant, sommes-nous si mal lotis que ça en Europe ?

 

L'Etat-providence continue à nous protéger mieux qu'ailleurs, l'espérance de vie n'a jamais été aussi longue, la médecine aussi performante. Nos atouts dans le domaine de l'éducation, de la recherche restent immenses. La beauté de nos paysages, l'appétit pour la culture, le goût de la conversation font encore de notre contrée une de celles où il fait le meilleur être.

 

Nous n'avons jamais aussi bien vécu et jamais autant gémi. Si la gauche avait un tant soit peu de courage, elle dirait aux Français : battez-vous pour la justice sociale mais cessez de geindre, vous êtes encore des privilégiés parmi les nations. Ne donnez pas à vos difficultés le caractère fantasmatique d'une tragédie. En définitive, la fatigue française ne naît pas d'un surcroît d'activité mais d'un excès d'abstention. Nous avons depuis longtemps renoncé à lutter sinon contre nous-mêmes, pareils à ces insectes enfermés dans un bocal et qui se dévorent à défaut de pouvoir s'échapper.

 

La crainte nous paralyse, notre allergie à l'adversité accroît notre faiblesse. On ne mobilise pas une grande nation à partir d'une déploration collective ! Place de l'Odéon, à Paris, se dresse la statue de Danton sur laquelle est gravée la célèbre formule : "De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace." Où est le parti de l'audace aujourd'hui ?

 

 

Pascal Bruckner, écrivain et essayiste

 

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