Par Laurent Py...
J’ai rédigé ce texte le lendemain du premier tour des élections cantonales. Ceci explique qu’il ne soit plus tout à fait d’actualité…il s’agissait d’une première réaction, un peu naïve, que j’avais décidé de laisser de côté. Et puis j'ai décidé d'attendre les résultats du second tour pour le publier en me disant qu'il ne changeront pas fondamentalement ce que j'ai à dire. Je vous le livre car j’espère que nous n’avons pas fini de parler de ces élections malgré ou à cause des résultats de ce soir. J'attends vos réactions !
Les résultats des élections cantonales de dimanche dernier nous ont choqué à plus d’un titre. La forte abstention et la poussée d’un Front National qui cristallise le mécontentement, le vote accordé à des candidats inconnus et qui n’ont que l’étiquette pour se faire apprécier, tout cela reflète un mécontentement et une perte de confiance qui malheureusement semblent s’installer. Devant cette situation qui se répète malheureusement à chaque élection lorsque les Français n’ont plus confiance en leurs élus, les injonctions au sursaut moral et les prises de positions idéologiques ne pourraient bien ne faire qu’empirer la situation. Car derrière le Front National se sont des électeurs en perte de repère qui se cachent. Stigmatiser ces électeurs avec un air de supériorité en s’en détachant sous couvert de « front républicain » c’est attiser l’idée que UMP ou PS c’est la blanc bonnet et bonnet blanc et nourrir le discours de tous les extrêmes. D’ailleurs la vitesse avec laquelle se délient en général les « front républicains » ne traduit une fois de plus que la célèbre myopie de la politique qui pourrait bien être une des raisons de plus du désengagement civique.
Pourtant tout le monde s’accorde à dire que ce à quoi il faut faire barrage en premier lieu c’est aux raisons qui poussent les électeurs à choisir les partis du mécontentement (qu’ils soient de gauche comme de droite). « Le mauvais choix n’est pas entre les idéologies, il est entre les moyens » disait Edgar Faure. Or que nous proposent les partis pour endiguer la montée des extrêmes ? Ils campent en général sur leurs positions continuant à voir le monde à travers leurs programmes, certains de leur capacité à pouvoir changer les choses. La gauche met l’accent sur la crise, l’absence de sécurité matérielle, le délitement des services publics assimilé à l’abandon, le besoin d’assistance au risque de l’infantilisation et la nécessaire augmentation du pouvoir d’achat sans vouloir voir tous les changements, tandis qu’une partie de la droite critique le laxisme, prône plus d’adaptation et voudrait revenir à l’identité, à la nation et à la sécurité au risque de la stigmatisation et de la remise en cause d’une certaine forme de solidarité nationale. Les bons esprits pensent s’en sortir en affirmant qu’il faut certainement un peu de tout cela pour revenir à une situation « normale ». On en oublie presque que cela dure depuis plus de vingt ans…et que le mal ne touche pas seulement la France, mais la plupart des grandes démocraties d’Europe. Rares sont les élus ou les prétendants qui s’interrogent sur leur rôle, sur leur manière de faire la politique, sur l’adaptation des institutions aux nouveaux enjeux, sur la place des citoyens, sur la manière de leur redonner envie de s’engager, éventuellement sur les nouveaux devoirs qui doivent accompagner les nouveaux défis et les nouvelles possibilités, bref rares sont ceux – mais je me trompe peut-être – qui osent tenir un discours vrai sur leur rôle, la démocratie elle-même et son fonctionnement, sur leurs faiblesses et sur ce qui serait à faire pour endiguer la lente mais certaine perte de contrôle.
En un sens, cela est compréhensible. Aborder ces questions, c’est prendre le risque de se faire taxer de démagogue. Le « tous pourris » n’est-il pas le fond de commerce de tous les extrêmes, qu’il s’agisse d’un Mélenchon ou d’une Le Pen ? Sans sombrer dans un discours facile et médiatique qui tendrait à nier le travail considérable fait par nos élus, leur dévouement et la rudesse de leur tâche, je pense qu’il est possible et nécessaire de s’interroger sur ces questions de manière rationnelle en portant la réflexion sur le fonctionnement de nos institutions. Parce que le centre a toujours eu comme souci de contribuer à l’éducation des citoyens et à l’épanouissement de chacun en cherchant à multiplier la possibilité d’influer sur son environnement et sur sa propre vie, parce qu’il est moins enclin aux prises de positions populistes pour se rapprocher des besoins réels, parce que je connais sa préférence pour les débats et le travail de fond plutôt que pour les premières places sur les scènes médiatiques, je pense que c’est lui qui est le plus à même de porter ce débat aujourd’hui. Je n’ai pas la réponse, mais je suis persuadé que le mal est si profond que nous ne pouvons plus faire l’impasse sur ces questions : le fonctionnement de notre démocratie est-il adapté aux nouveaux enjeux et surtout permet-il de redonner confiance aux citoyens pour ne pas avoir à exprimer à chaque fois leur mécontentement par le choix des extrêmes ?
Dominique Bourg et Kerry Whiteside dans leur livre « Vers une démocratie écologique » (La République des idées, Seuil, octobre 2010) ont commencé ce travail en lançant quelques idées. Je ne les partage pas toutes : l’opposition entre démocratie représentative (la démocratie des modernes de Benjamin Constant) et enjeux écologiques extraterritoriaux et supra générationnels me semble trop simple quand on sait la manière dont certains élus ont su, de par le passé, aborder des problèmes tous aussi impalpables, par anticipation et courage politique. Surtout, je continue à penser que les institutions supranationales ont un rôle essentiel á jouer dans les questions environnementales. Mais je retiens de leur livre un questionnement sur la place des citoyens et des scientifiques dans notre démocratie et m’interroge avec eux sur la question de savoir s’il ne serait pas temps d’introduire une part de participation directe dans la démocratie représentative. Nous savons que cela se fait de plus en plus au niveau local : conseils de quartiers, conseil des résidents étrangers, etc. Pourquoi ne pas l’institutionnaliser au niveau national ? Lorsqu’un enfant se plaint de ne pouvoir obtenir ce qu’il veut, lorsqu’il en veut à ses parents incapables de lui offrir ce qu’il aimerait, lorsqu’il commence à se rebeller contre une autorité jugée inadaptée, le comportement responsable des parents n’est-il pas celui qui consiste à l’associer pour lui montrer les difficultés, à tenir compte de ses propositions pour mieux préciser ses attentes et mieux arriver au résultat, éventuellement à le faire faire et ainsi à l’aider à grandir ?
Je ne suis ni un constitutionnaliste, ni un spécialiste, mais j’avais déjà proposé lors des débats su le Contrat de Première Embauche qu’il existe une chambre qui rassemble des acteurs de la société civile, des associations, des chercheurs spécialistes, des citoyens tirés au sort, qui puissent donner un avis sur les lois et suivre leur mise en application. Certains diront qu’il s’agit du rôle du Conseil Economique et Social. Mais celui-ci est-il suffisamment visible et symbolique ? Non, d’autant plus qu’il n’associe pas les citoyens. Avec une chambre nouvelle, cela changerait. L’initiative et le vote des lois resteraient aux représentants élus, mais ceux-ci seraient obligés de consulter cette chambre nouvelle qui pourrait lui soumettre des propositions et surtout se verrait confiée l’évaluation des lois. Cela permettrait en quelque sortie de disposer d’un contrôle intermédiaire. Les citoyens tirés au sort profiteraient de cette participation qui stimulerait la participation citoyenne plutôt que de la tenir à distance et encouragerait l’engagement associatif et le travail d’expertise scientifique.
Ce n’est là bien sûr qu’un exemple qui nécessiterait d’être précisé, mais je pense qu’il devient urgent de faire des propositions qui s’attaquent aux causes des dissidences civiques et au sentiment d’impuissance généralisé ; des propositions qui dépassent le cadre de la prochaine élection et de la modification de la loi électorale pour rendre notre pays et ses habitants plus apte à s’attaquer, COLLECTIVEMENT et dans le respect de la diversité, aux défis actuels et futurs.