Pour restaurer sa légitimité face aux mutations du monde contemporain, la gauche, ou sa composante la plus moderniste, doit incarner une ambition collective en s’affirmant force de propositions et initiatrice d’actions adaptées aux nouveaux enjeux. Elle doit pour cela se rénover profondément dans ses idées comme dans ses projets, sans craindre de remettre en cause certaines modalités d’action qui avec le temps ont été considérées comme des principes intangibles, alors qu’elles n’étaient en réalité que des moyens pour atteindre des buts, qui eux demeurent constants.
Nos valeurs convergent avec celles des premiers socialistes, les buts ou les objectifs ont peu varié, mais les moyens politiques à utiliser pour les atteindre, par définition liés à un moment de l’histoire, à une situation et un environnement donnés, peuvent et doivent changer pour rester efficaces.
La pensée traditionnelle de gauche considère comme des idéaux ou des objectifs, et donc comme intouchables, des concepts qui n’étaient que des moyens définis dans les années quarante, comme la gestion étatique des services publics, l’interventionnisme de l’Etat, le statut de la fonction publique, les mesures strictement égalitaires ou le recours à l’assistance. Elle a, pour cette raison, hésité à les remettre en cause, ou l’a fait avec un sentiment de culpabilité qui retarde ou interdit les politiques nouvelles indispensables. Lorsque Tony Blair écrivait : « nous avons confondu les fins et les moyens, tolérant qu’un ensemble d’outils économiques éclipsent les buts qu’ils étaient censés servir »[1], il touchait un point central de la critique qui peut être apportée à l’action de la gauche et dessinait en creux l’objectif d’une nécessaire modernisation. Admettre le découplage entre les fins et les moyens, et en comprendre la nécessité permet de se libérer du carcan de dogmes pesants, de se doter d’une liberté d’action sur les plans économiques et politiques, de se retrouver en phase avec l’évolution du monde et de la société. Nous devons repartir des objectifs fondamentaux qui sont ceux de la gauche et trouver, pour les concrétiser, les moyens de notre temps.
L’alliance entre le libéralisme et la justice sociale est souvent considérée comme contre nature, et le libéralisme économique, notamment, parait incompatible avec les objectifs de la gauche. Nous voulons mettre au contraire en évidence que cette alliance est possible, qu’elle est même sans doute nécessaire à la réalisation dans le monde d’aujourd’hui des finalités et des valeurs de la gauche. Depuis trente ans, l’anti-libéralisme est devenu, en France, la pensée uniforme à gauche comme à droite. Il s’agit pour nous de lutter contre cette « trouble évidence » et de montrer à quel point cette intégration des idées libérales au socialisme peut le renouveler et lui apporter une efficacité nouvelle[2].
Tout au long de son histoire, d’ailleurs, le socialisme s’est enrichi de nombre d’idées venant du libéralisme, de la même manière que le libéralisme s’est d’une certaine manière socialisé. Le libéralisme a reconnu les risques de l’injustice sociale engendrée par une liberté trop absolue, les dangers que la libre initiative sans contrôle ou la concurrence non régulée pouvait faire courir à la cohésion sociale. Le socialisme moderne a su accepter le marché et la propriété, de la même manière qu’il est devenu plus soucieux de l’autonomie des individus et du rôle essentiel qui peut être celui des pouvoirs intermédiaires. Socialisme et libéralisme peuvent cheminer de concert et s’épauler dans la recherche du progrès social. C’est leur combinaison qui donnera une modernité et une capacité créatrice nouvelle à ces deux concepts anciens.
Socialistes et libéraux, nous ne pouvons continuer à soutenir les principes d’un socialisme émollient qui confond justice sociale et assistance, qui ne comprend la régulation que globale et émanant de l’Etat, qui veut limiter le recours à l’initiative et à la prise de responsabilité parce qu’il en craint les abus. L’expérience nous permet d’affirmer au contraire que c’est la liberté de la personne, l’engagement individuel et collectif, qui ouvrent la voie au progrès et à de nouvelles formes de justice sociale. L’initiative et la concurrence favorisent l’innovation et sont, pour une société, des facteurs de dynamisme. La compétitivité économique n’est pas l’antithèse de la cohésion sociale, elle peut même la favoriser. L’abandon d’une réglementation centralisée des rapports sociaux et économiques au profit du contrat et de la négociation entre partenaires responsables, peut permettre de reformer ce lien social qu’un Etat interventionniste tend à dissoudre. L’aide gagne en efficacité, y compris pour ceux qui en bénéficient, si au lieu d’être apportée de manière globale et automatique, elle est ciblée et adaptée aux publics, aux individus qui en ont besoin et se présente comme un tremplin.
Le refus des principes dépassés du socialisme, ne nous situe pas pour autant dans le camp des thuriféraires du capitalisme, l’ensemble de nos propositions a même pour objet de lutter contre la dureté et l’injustice qu’il provoque. Avec Lucien Jaume nous pensons qu’on ne peut assimiler le libéralisme - et encore moins le socialisme libéral - à un capitalisme débridé, comme les tenants du politiquement correct, de droite ou de gauche, ont tendance à le faire ou à un ultra libéralisme synonyme d’absence de règles et de loi du plus fort.
Le libéralisme économique lui-même qui repose sur l’échange, la concurrence égale, l’édiction de normes permettant le fonctionnement libre et juste du marché a trop souvent été purement et simplement assimilé au capitalisme, à sa logique de puissance, d’accumulation ilimitée de richesses et de destruction de l’échange, de concentrations tendant au monopole, à ses excès. Vouloir bénéficier du dynamisme qu’il apporte, utiliser sa force motrice, ne nous empêche pas d’agir pour limiter sa brutalité ainsi que son emprise – et celle de l’argent – sur la société.
Notre vision est celle d’un humanisme actif qui, faisant appel à la responsabilité de chacun, ouvre un large champ d’autonomie et d’épanouissement personnel, d’initiatives sociales et d’actions transformatrices. Elle exprime une confiance en l’homme et en ses facultés d’initiative, une confiance dans la capacité d’une société libre à affronter le présent et à s’engager, de manière plus dynamique sur la voie du futur.
Marc d’Héré