Nicolas Baverez, essayiste, analyse le climat de la rentrée et réfute les critiques formulées par Jean Peyrelevade* à l'encontre de la politique de réformes du gouvernement.
La rentrée est placée sous le signe du plein impact de la crise mondiale sur l'Europe et sur la France, qui sont en passe de basculer dans la récession, situation sans précédent depuis 1992.
Contrairement aux illusions entretenues sur un improbable découplage de l'Europe d'avec les États-Unis ....... le continent comme le pays sont rattrapés par le choc économique le plus dangereux depuis la grande déflation des années 1930. Et ce dans ses quatre dimensions : effondrement du crédit à la suite des sinistres bancaires ; krach immobilier ; spirale baissière des marchés financiers ; choc pétrolier et alimentaire déclenchant une forte poussée d'inflation importée. Avec en perspective pour l'économie française une croissance limitée à 1,2 % en 2008 et à 1 % en 2009, une inflation supérieure à 3,5 %, un chômage en hausse, des déficits jumeaux de l'ordre de 50 milliards d'euros pour la balance commerciale et 3 % du PIB pour les finances publiques la dette s'élevant à environ 65 % du PIB.
D'où des interrogations renouvelées sur la politique économique poursuivie par Nicolas Sarkozy ....... .....
La première question est vigoureusement posée par Jean Peyrelevade qui qualifie d'«erreur historique» la politique de Nicolas Sarkozy en raison de la priorité accordée au pouvoir d'achat au détriment de la production, aux baisses d'impôt par rapport à la réduction des déficits, à une logique de compromis en lieu et place d'une thérapie de choc de style thatchérien.
La seconde se cristallise autour des tensions croissantes sur le revenu des ménages et sur l'opportunité d'une relance de l'activité par l'État exclue a priori par la dégradation des finances publiques qui prive le pays de toute marge de manœuvre.
1. Le diagnostic sur le déclin économique français........ se traduit par la chute de la croissance (de 4,2 % dans les années 1970 à 1,6 % depuis 1990), l'enracinement d'un chômage de masse, le blocage parallèle des gains de productivité (0,7 % par an) et de pouvoir d'achat (0,4 % par an), le retour de la contrainte extérieure avec une chute de parts de marché y compris en Europe, la montée parallèle des déficits et de la dette publics (65 % contre 20 % du PIB en 1980).
Le recul français se résume à deux causes majeures : l'affaiblissement de l'offre compétitive en raison d'une spécialisation sectorielle et géographique défectueuse mais surtout de prix trop élevés notamment du catastrophique impact des 35 heures qui ont entraîné une hausse de plus de 30 % du coût du travail depuis 2000 contre une baisse de 15 % en Allemagne ; l'improductivité du secteur public dont les dépenses ont explosé (54 % du PIB) pour une qualité de service en dégradation constante.
D'où la nécessité d'une stratégie associant une politique de l'offre repositionnant l'appareil productif français dans la mondialisation, la réforme structurelle du secteur public, l'anticipation des défis futurs liés au basculement vers l'économie de la connaissance, au vieillissement de la population et aux enjeux du développement durable.
2. À la lumière de ces priorités, le programme présidentiel de Nicolas Sarkozy comportait de fait une part d'ambiguïté. Il entendait être à la fois le président du pouvoir d'achat et le président des réformes en faveur de la compétitivité......
......Sous le slogan de la rupture se dessinait ensuite une stratégie de contournement par le compromis des blocages de la croissance, notamment sur la levée des 35 heures, la neutralisation de l'ISF, la démocratie sociale et le rôle des syndicats, ou encore la dépense publique. Le dessein consistait à prendre appui sur le dynamisme de la croissance mondiale, alors de 5,5 %, et sur la relance de l'Europe pour réamorcer le développement, tout en tirant le parti maximum du choc positif de l'élection présidentielle. Ultime source de confusion, la volonté de libéraliser le modèle français allait de pair avec le maintien d'accents étatistes, corporatistes ou protectionnistes.
3. Ce programme présidentiel a été télescopé de plein fouet par la crise mondiale et par l'éclatement de la bulle médiatique autour de la personnalité du président, qui ont ruiné d'emblée le choc de confiance espéré. La première limite de l'analyse de Jean Peyrelevade est d'en être resté à l'élection présidentielle, en ignorant les bouleversements intervenus dans l'économie mondiale depuis 2007.
Or que constate-t-on ? Tout d'abord, la crise et l'impopularité du président, loin d'annihiler l'action du gouvernement comme sous François Mitterrand et Jacques Chirac, ont entraîné une accélération de réformes et une clarification de la stratégie économique......
....L'action des pouvoirs publics s'est progressivement concentrée sur les axes prioritaires. La politique de l'offre s'est incarnée dans la libéralisation du marché du travail et la sortie de facto des 35 heures sur le modèle du choix effectué à la Libération couplant maintien de la loi des 40 heures et durée effective de travail compris entre 48 et 56 heures , la normalisation de la fiscalité française au sein de la zone euro, la libéralisation de l'environnement des PME, l'incitation à l'innovation, l'autonomie des Universités, le service minimum dans les transports et les écoles, la modernisation du dialogue social.
La réforme de l'État a démarré avec un an de retard et se développe sous la forme de réductions d'effectifs sans précédent dans la fonction publique (30 000 postes dans l'État en 2009, 56 000 dans le secteur de la défense sur cinq ans), mais aussi de la maîtrise indispensable des dépenses de protection sociale et des collectivités territoriales, ce qui débouche sur une rationalisation des lois de décentralisation. Le «Grenelle de l'environnement» a dessiné des pistes pour dépasser l'antagonisme stérile entre l'écologie et l'économie. Enfin, le traité de Lisbonne a dessiné la voie d'une sortie de la crise de l'Union européenne née de l'avortement du processus constitutionnel et, partant, d'une possible relance de l'intégration du continent. Force est donc de constater que la politique mise en œuvre par Nicolas Sarkozy se calque presque exactement sur les voies du redressement suggérées par Jean Peyrelevade.
4. Les principes de la stratégie économique de Nicolas Sarkozy sont cohérents avec l'objectif d'une réintégration de la France dans le peloton de tête des pays développés.
Pour autant, la mise en œuvre de cette politique présente trois difficultés. La première, soulignée par Jean Peyrelevade, touche au style du président, à son goût de l'action pour l'action, à l'extrême centralisation du processus de décision qui se traduit par un manque de cohérence et de pédagogie des réformes.
La deuxième est à chercher dans les limites d'une modernisation impulsée par le haut.....
La troisième découle précisément du bouleversement radical de l'environnement économique depuis 2007..... Loin de justifier des mesures de relance conjoncturelle qui reproduirait les erreurs commises dans les années 1970 en dégradant un peu plus la compétitivité des entreprises et les finances publiques, cette nouvelle donne appelle une accélération des réformes de structure en faveur de l'offre d'un côté, un strict effort pour éviter tout prélèvement ou dépenses publiques supplémentaires de l'autre. Contrairement à 1983, il n'y a nul besoin d'un tournant, mais il y a urgence à ce que le gouvernement fasse sienne et assume la même rigueur que s'appliquent à juste titre les Français.
5.Au total, Jean Peyrelevade manque sa cible. Ses critiques visent moins la stratégie économique que la personnalité du président : Nicolas Sarkozy conduit une politique très proche ce celle qu'il préconise même s'il ne la conduit pas de la manière qu'il souhaiterait, sentiment au reste partagé par une majorité de Français. Son jugement s'est arrêté à l'élection présidentielle, sans prendre en compte ni la crise économique, ni l'écart au demeurant problématique entre l'action conduite et le discours tenu.
Surtout, les erreurs historiques qui ont provoqué puis accéléré le déclin français ne se situent pas en 2007 mais en 1981, avec les nationalisations et la relance keynésiennes qui ont coupé la France du mouvement de réformes puis de la relance des années 1980, puis en 1997 avec le passage autoritaire aux 35 heures qui a bloqué la productivité et la transition vers l'économie de services et de connaissance, tout entière fondée sur le volume et la valeur du travail.
Les critiques sur le rythme et le contenu des réformes sont parfaitement légitimes, mais il est trop tôt pour juger le quinquennat de Nicolas Sarkozy comme la chronique d'un échec annoncé.......
....Nicolas Sarkozy n'a certes pas gagné son pari de relever l'économie française. Mais du moins agit-il avec énergie et détermination, poursuivant dans des temps très difficiles des réformes qui bouleversent le pays en profondeur, ce qui suffit à caractériser une rupture avec François Mitterrand et Jacques Chirac. Plus Nicolas Sarkozy s'affirme comme le président des réformes, plus il a de chances de s'imposer comme le président du redressement de la France.
Nicolas Baverez, Le Figaro du 28 08 (EXTRAITS)
* Sarkozy : l'erreur historique, de Jean Peyrelevade, Plon, 14 €.